Elle marque la fin du voyage,mais aussi le début de l'errance, des regrets..., du temps où la vie avait un sens. Ulysse en est le plus bel exemple.
Lorsqu'elle n'est que le mal du pays, la nostalgie paraît soluble dans l'espoir. Les larmes d'Ulysse prisonnier des sorcières sécheront avec le retour à Ithaque. Le chant du cygne est un chant de joie quand, avec la mort, on retrouve le divin natal. Le sentiment d'être déchiré s'estompe quand on rencontre sa moitié. Les gémissements de l'âme en exil, disperdue, grisée par les sortilèges de la matière, redeviennent une mélodie quand sonne l'heure du retour à l'unité. Autrement dit, tant qu'il est possible de revenir à Ithaque, tant qu'elle ne désespère pas de dissiper l'absence, la nostalgie n'est qu'un mal provisoire, une promesse de bonheur qui transforme la Bible en cadastre et la mémoire en horizon, un faux problème dont la solution revient à retrouver - ou recréer - l'endroit qu'on a perdu : vous allez voir, ce sera mieux avant. Malheureusement, c'est impossible, ou pire, ça ne dure pas; l'espoir est trompeur, l'extase fugace et le retour décevant. Parce qu'elle est une maladie du temps dont, à cet égard aucun lieu ni palais n'atténue l'amertume, la nostalgie a toujours un coup d'avance. Plus que la souffrance de la perte, la nostalgie - étymologiquement la "douleur du retour" - désigne la déception des retrouvailles. Qu'arrive-t-il à Ulysse, une fois qu'il est rentré chez lui après vingt ans d'absence? Est-il enfin heureux? Au contraire: "… il est distrait, taciturne, il ne mange plus la soupe de l'épouse, imagine Jankélévitch ; la ride de la conscience soucieuse jette une ombre sur son front et ternit l'ïnnocence de son bonheur [...] Ulysse regrette l'instant où il a confusément entrevu Ithaque, l'instant où l'île de son espoir hésitait encore entre l'inexistence et l'existence. » Rien de nouveau sous le soleil; tout a changé, comme d'habitude. Ithaque n'est plus ce qu'elle était, Pénélope a vieilli, le petit chien est mort et plus personne ne demande à Ulysse de raconter ses aventures... La nostalgie, c'est la fin de l'histoire.
Le nostalgique veut tellement revenir chez lui que, quand il rentre à la maison, il se demande où il est. Une fois qu'il a goûté au remède qu'il espérait, la tristesse d'avoir vécu remplace, en lui, la bonne vieille douleur d'attendre. Aux larmes du vagabond penché sur le rivage succède l'humeur noire du chef de famille qui regrette, en silence, les heures où il pleurait, mais où sa vie avait un sens. Jankélévitch encore: "La terre promise est éternellement compromise." Il n'y a jamais de grand retour puisque nul n'est jamais vraiment parti: la patrie perdue n'est que le prête-nom d'une mémoire sans souvenirs. Quand elle arrive à son terme, la nostalgie n'en est qu'à ses débuts. .La nostalgie n'est pas la peur de mourir, mais la peur de continuer à vivre. Avec la fin du voyage commence l'errance.
Raphaël Enthoven, extrait de Philosophie magazine n°39 mai 2010
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